Au Yémen, nos équipes opèrent dans un contexte humanitaire complexe.

Au Yémen, nos équipes opèrent dans un contexte humanitaire complexe

En mars 2015, une coalition de pays dirigée par l’Arabie saoudite a débuté des opérations militaires au Yémen suite à la prise de contrôle des principales villes du pays par les rebelles houthistes. Depuis plus d’un an, la population yéménite subit embargo, privations, inflation et bombardements alors que les organisations humanitaires tentent d’opérer dans un contexte extrêmement délicat où elles sont directement prises pour cibles. Depuis le début des frappes aériennes, le 26 mars 2015, la guerre a fait plus de 6400 morts et 31000 blessés selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

L’aéroport de Sana’a approche. Des maisons couleur terre, des jardins, des champs, de la verdure : vu du ciel, le Yémen a l’air prospère et paisible. Puis c’est l’atterrissage : des carcasses brûlées d’avions militaires gisent sur le tarmac, l’ossature des hangars a été tordue par une force inhumaine et un avion de ligne est coupé en deux au bord de la piste. Depuis plus d’un an, le Yémen est en guerre.

Il y a une certaine agitation dans l’aéroport, plusieurs vols viennent d’arriver. Chaque jour, les avions décollent et atterrissent durant un laps de temps précis au gré des autorisations saoudiennes.

La route est longue jusqu’au bureau d’Action contre la Faim. Au premier check-point, des enfants frappent à la fenêtre de la voiture, demandent quelques pièces. Un autre à peine plus âgé tient négligemment un fusil mitrailleur, jette un regard rapide au chauffeur et lui fait signe d’avancer.
Sana’a est bruyante, les gens s’affairent et profitent sans doute de la relative quiétude qui a suivi l’arrêt des frappes. Un cessez-le-feu a été établi le 11 avril après plus d’un an de frappes aériennes dirigées par l’Arabie saoudite et de combats contre les Houthis. Ici et là, des bâtiments et des hangars sont à terre. On pense à l’expression « frappe chirurgicale », on se demande s’il y a des corps ensevelis là-dessous, à quoi servait ce lieu bombardé ? Méritait-il un tel déferlement de violence ? Le regard se pose partout, les étals des magasins, les joues gonflées de kat des passants, les gens qui vont et viennent, travaillent, achètent, mendient. « Il y a beaucoup plus de mendiants qu’avant » constate Bilal, le chauffeur, « tout ça c’est depuis le début de la guerre. Les gens ont fui, ont perdu leur travail, certains leur maison ».

Les frappes aériennes ont cessé depuis quelques jours mais on entend les avions de la coalition. Ils survolent la ville toutes les nuits, ils maintiennent un climat de tension, rappellent en permanence qu’ils peuvent frapper à tout moment

explique Murad le référent sécurité de la mission d’Action contre la Faim.

Quant aux déplacements, ils sont extrêmement limités, le risque de kidnapping est plus faible que par le passé mais on ne préfère prendre aucun risque.

Travailler dans un pays en guerre où les humanitaires sont des cibles privilégiées rend les choses compliquées. L’équipe internationale d’Action contre la Faim a été obligée de quitter le pays en avril 2015. Elle y est revenue depuis maintenant plusieurs mois. Elle organise, coordonne et contrôle les activités des équipes qui tentent de se rendre quotidiennement sur le terrain mais la tâche est ardue.

Dans le sud du pays, la présence d’Al-Qaeda et les frappes aériennes rendent l’accès au gouvernorat d’Abyan complètement impossible depuis plusieurs semaines. Dans le nord, les autorités locales multiplient les demandes auprès des ONG internationales et les négociations sont nombreuses pour pouvoir travailler en respectant les principes humanitaires. Refuser c’est prendre le risque de ne pouvoir atteindre des populations dans le besoin, accepter c’est se compromettre : un choix cornélien auquel toutes les ONG internationales présentes au Yémen doivent faire face. Action contre la Faim est en proie à ces questionnements et les décisions de l’ONG la privent régulièrement d’accès.

Tout déplacement sur le terrain implique une logistique particulière. Au moins deux voitures sont affrétées et une personne en charge de la sécurité et de la relation avec les autorités est présente. Action contre la Faim possède trois bureaux au Yémen, à Sana’a, Aden et Hodeidah. Le bureau d’Aden est accessible uniquement par voie maritime depuis Djibouti. La route qui mène à celui de Hodeidah, ville portuaire de l’ouest du pays est parsemée de check-points. Au premier, situé à la sortie de Sana’a, un homme en arme contrôle à plusieurs reprises le laissez-passer de chaque passager. Tout autour, minibus et camionnettes chargés d’hommes et de vivres défilent. Après quelques minutes, le soldat reçoit la validation de son supérieur, le voyage peut se poursuivre.
Les paysages défilent : des villages aux maisons de pierre siègent au milieu de montagnes couvertes d’une végétation luxuriante. Dans la vallée, le sable fait tout à coup son apparition, accompagné d’une chaleur humide et écrasante. On passe un dernier check-point à l’entrée de Hodeidah, il y en a eu plus de 20 durant les cinq heures de route qui séparent les deux villes.

Au Yémen la situation nutritionnelle est dramatique

Tout au sud du gouvernorat de Hodeidah, dans la ville d’Hayis, Action contre la Faim soutient un Centre de Stabilisation qui accueille des familles et leurs enfants atteints de malnutrition. Selon notre équipe sur place ainsi que les représentants du ministère de la santé yéménite, le nombre de patients a augmenté. Pour cause, les familles viennent de loin, beaucoup d’entre elles ont été déplacées par le conflit et leur situation a empiré. « Nous avons observé une augmentation très nette du nombre d’admissions dans le centre. Avant la guerre, nous comptions 15 ou 16 admissions par mois. Depuis le début des frappes, ce sont plus de 30 personnes qui arrivent chaque mois », expliquent les membres de notre équipe. Pourtant, depuis deux mois, les chiffres sont en baisse. « Nous craignons que cette baisse soit liée à l’incapacité des familles à payer le transport jusqu’au centre mais aussi aux difficultés d’accès des équipes mobiles sur le terrain. Il est plus complexe pour elles de sensibiliser les familles et de les inciter à faire soigner leur enfant au centre dans ces conditions ».

Une population prise en otage par le conflit

Roda a 25 ans, elle est arrivée il y a cinq jours avec son mari et son fils au Centre de Stabilisation d’Hayis, dans le gouvernorat d’Hodeidah. Assise sur un lit à côté de son fils endormi, elle raconte son arrivée : « Une équipe mobile d’Action contre la Faim est passée plusieurs fois dans notre village. Les gens m’ont parlé du centre car ils voyaient que mon fils ne grandissait pas. Il était très malade et on m’a dit qu’ici il pourrait être soigné, que c’était propre, qu’il y avait de la nourriture », explique la jeune femme. « Mon mari m’a emmené en moto car il faut une bonne heure pour venir et depuis que je suis ici, je me sens bien, sauf quand le générateur est coupé car il fait très chaud ». A l’arrivée de la famille, le jeune garçon a immédiatement été pris en charge par Action contre la Faim. L’équipe a pris les mesures de l’enfant pour évaluer son état nutritionnel. Depuis, le personnel du centre surveille et conseille la jeune mère quant à la manière dont elle soigne et nourrit son fils. Grâce à cette sensibilisation, Roda a beaucoup appris sur l’état d’Ahmed: « je sais désormais qu’il a la malaria et qu’il va pouvoir être sauvé ».


VIVRE AU YÉMEN AUJOURD’HUI

3 témoignages

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Plus de 300 000 enfants souffrent de malnutrition

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Une situation critique dans de nombreux villages

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Les maladies hydriques, une des principales causes de malnutrition


Roda et son mari n’ont pas été contraints de quitter leur foyer comme près de trois millions de Yéménites mais ils sont impactés par la guerre. « La vie est devenue plus dure, plus chère, très chère » explique Roda. Et au-delà du prix, il faut encore trouver les marchandises : 

Il y a un petit magasin au village mais souvent le propriétaire n’a pas les moyens d’acheter des produits alors nous devons nous rendre au marché qui se trouve à Hayis, à une heure de chez nous. Aller jusque là nous coûte cher et des fois nous n’avons pas assez d’argent pour payer l’essence.

Ali, le mari de Roda a perdu son emploi dès le début du conflit : « je travaillais dans la construction mais le bâtiment voisin du mien a été détruit par une frappe aérienne. Tous les employés ont fui ». Avec l’argent qu’il leur restait, il a acheté quelques bêtes mais au fil des mois il a été obligé de les vendre, et s’est endetté. « On a dû emprunter beaucoup d’argent, près de 20 000 riyals yéménites depuis le début de l’année », confirme son épouse. Cette somme, plus de 80 dollars, représente un peu moins que le salaire mensuel moyen au Yémen qui était d’environ 100 dollars avant le conflit.

Plus de 320 000 enfants pourraient être victimes de malnutrition aigüe sévère dans un pays où la situation nutritionnelle était déjà critique avant le conflit. La guerre et l’embargo instauré par la coalition ont causé une forte inflation et une raréfaction des biens dans le pays. Un sac de 5kg de riz coûte désormais 2500 riyals yéménites à Roda alors qu’il en valait moins de la moitié avant le conflit. Les négociations en cours au Koweït doivent absolument conduire à une solution politique et à la paix afin que les civils cessent de subir les conséquences du conflit.